Trop de croquis perdus. Et si après quelques heures, il leur avait retrouvé un peu de valeur, un petit je-ne-sais-quoi qu'il n'eût pas encore réussi à coucher sur papier? Mais en regardant ses papiers s'envoler pour ne jamais revenir, Sydney ne fit que pousser un bref soupir, ses épaules affaissées. Ce serait mentir que de prétendre que ces croquis avaient de la valeur, il y avait si peu de différence entre ceux qu'il venait de perdre et ceux qu'il avait dessiné le jour d'avant, et celui d'avant, et celui d'avant… Plus qu'emprisonné dans la brume, la ville était figée dans le temps et il s'était retrouvé prisonnier de sa propre routine. Peut-être qu'il devrait tenter une exploration plus poussée de l'Île, et même plus loin s'il l'osait.
Ou peut-être que les mystères de l'Île allaient venir à lui en premier.
Le couturier ne réagit pas tout de suite en voyant la femme qui lui tendait ses croquis. Elle avait la posture d’un soldat au repos mais la gardait avec un certain inconfort et Sydney pouvait apercevoir des bandages ici et là, dont le plus important sur son visage, qui lui arrachèrent un hoquet de stupeur.
-Oh, fille, qu'est-ce qui t'es arrivé ?!
Ce n'était pas dit avec méchanceté, mais pas avec tact non plus. Clairement cette fille ne manquait pas de goût et savait s’habiller mais bon, un peu de prudence ne lui ferait pas de tort à l’avenir si elle voulait atteindre son plein potentiel. Un élan de culpabilité traversa le couturier alors qu’il reprit les papiers qu’elle lui tendait et observa ses propres mains, usées par le travail de façon tout à fait typique mais qui étaient en grand contraste avec le reste de son apparence. Il aurait pu y faire plus attention, se trouver de la crème pour sa peau, du vernis —même s’il se doutait que c’était ce qui avait causé la décoloration de ses ongles— mais il avait choisi de ne pas le faire. Quel hypocrite. Qui était-il pour juger l’apparence des autres?
D’un geste dramatique, le blond s’éventa avec ses croquis en poussant un petit rire nerveux. Il n’était pas trop tard pour se rattraper, et puis, la demoiselle venait de lui redonner un peu de sa confiance en complimentant son travail, alors il était de bonne humeur.
-Désolé, désolé, ce n’est pas de mes affaires. Ne t’inquiète pas pour les croquis, ceux-là feront très bien l’affaire, merci beaucoup! Peut-être que juste pour toi, je vais les ajouter à ma vitrine!
La « vitrine » n'était que l'avant du magasin où toutes les tables et comptoirs avaient été retiré pour faire plus de place, et quelques patères soutenaient ses dernières créations. Loin d'être parfait, mais il devait faire avec les moyens du bord.
-C'est bien de rencontrer un autre amateur de la mode, il en manque cruellement sur cette île… Mais assez parlé de moi, tes blessures ne te font pas trop mal? Je dois avoir de quoi faire plus de bandages ou une attelle, si tu en as besoin. Et je ne crois pas qu'on se soit présenté? Moi c'est Sydney, j’ai mon studio de couture dans le coin.