Son affectation du jour prêterait presque à sourire. Arrivé dans le local de la Garde, on lui annonce d'un ton las qu'il est de corvée d'aller jouer les nounous pour un Explorateur chasseur, non seulement pour surveiller qu'il ne se mette pas en danger mais aussi pour éviter qu'il n'aille se perdre seul dans la brume, par souci de sécurité.

Maarten attrape son manteau, sa matraque, son sac avec son petit sandwich pour midi qui contient également du matériel de survie, une trousse de soin, et de l'eau. La journée risque d'être longue. 

La tâche qui lui a été confiée n'est pas difficile, mais elle est frustrante. Si le Garde a compris depuis un moment que la Brume n'a aucune intention de confier ses secrets et que les sorties des Explorateurs se terminent par des échecs cuisants, il ne peut s'empêcher de les admirer. Lui-même a l'impression que dans une autre vie il aurait pu être un brave explorateur, un découvreur... Mais ici, il n'est plus qu'un homme terre à terre qui privilégie sa sécurité. Peut-être devrait-il s'associer avec un de ces imbéciles courageux qui partent risquer leur santé mentale dans le brouillard : ils pourraient former une équipe et avec un peu de chance, ils découvriraient des secrets jusqu'alors inconnus.

C'est en rêvassant d'aventure et de grands voyages qu'il arrive, cigarette au coin des lèvres, les mains dans les poches, au lieu de rendez-vous qu'il a retenu de sa réunion du matin. Avec un peu de chance, l'explorateur chasseur dont il aura la responsabilité aujourd'hui serait ouvert à l'idée de s'associer.

Le blond observe l'avant poste des explorateurs d'un oeil curieux. Les sequoias géants qui servent de supports aux constructions semblent sans âge. Leur immensité le fait se sentir tout petit. Il frissonnerait presque à l'idée de devoir monter là-haut ; d'ailleurs, normalement il aurait dû y aller, mais il a refusé tout net. On ne le fera pas quitter le plancher des vaches.

C'est donc près des racines noueuses d'un arbre centenaire que le Garde attend son partenaire de la journée.
Et quelle ne fut pas sa déception de voir arriver Olivia, une jeune femme d'un caractère bien trempé toujours propice à la confrontation. Une petite peste, en somme.

Est-il encore temps d'annuler sa mission du jour ?
Probablement pas.

Il la salue d'un grognement, et rallume sa cigarette éteinte.

Maarten : "Sache que ce n'est pas moi qui me suis proposé pour te surveiller. C'est un hasard, et un hasard malheureux."

Il grommelle dans sa barbe et jette un oeil à l'accoutrement de la petite brune, puis se demande ce qu'il a fait pour mériter ça.

Maarten : "Tu as intérêt à être sage. Si tu te perds dans la brume, je ne viendrais pas te chercher."

Un mensonge éhonté évidemment, car il est hors de question de ne pas faire ce pourquoi il a été mandaté, mais elle n'est pas obligé de savoir qu'il la ramènerait quoi qu'il en coûte.

Maarten ne se souvient plus vraiment des personnes qu'il a connu avant d'arriver sur l'île. Qui étaient-ils ? Des amis ? Avait-il des amis, au moins ? Peut-être de la famille ? Des collègues ? Des ennemis ? Il ne se rappelle rien mis à part certains visages, parfois, comme celui d'Antonio, qui semblent éveiller en lui des souvenirs qui essayent de ressortir désespérément, mais qui restent toujours aussi diffus qu'un mauvais rêve, aussi étrangement désincarnés et impersonnels qu'un portrait de Marlene Dumas.

Impossible de savoir si son arrivée sur l'île aurait changé sa personnalité ; il est convaincu que non, mais qui sait. Toujours est-il qu'il se prend à se demander si l'irritation caustique qui l'envahit quand la voix d'Olivia résonne est une réaction innée, qu'il aurait ressentie avant l'île, ou si dans un monde parallèle il l'aurait peut-être trouvée amusante et sympathique... Cela lui paraît peu probable.

La brune est fidèle à elle-même, la démarche assurée, l'expression de l'enfant gâtée qui se croit tout permis bien installée sur son joli minois insupportable. Elle entre en scène avec un de ses habituels sarcasmes de qualité, projetés à la volée comme des petits cailloux qu'un enfant catapulterait sur un adulte avec son lance-pierre de fortune. Pas assez fort pour le blesser, mais juste ce qu'il faut pour lui casser prodigieusement les pieds. Dans un moment d'absence et pour s'apaiser un court instant avant d'entamer la journée, le grand blond inspire une profonde taffe sur sa cigarette et s'imagine balayer l’exploratrice du revers de la main comme on dégagerait un petit moustique irritant qui siffle autour de sa tête. Malheureusement, à l’image de cet insecte qu’on essaye d’exterminer sans succès au beau milieu d’une chaude et insomniaque nuit d’été, elle ne se laissera pas faire aussi facilement.

L’envie est irrépressible de lui rétorquer que non, il n’a pas peur des hauteurs. Il a envie de lui asséner un laïus sur le fait qu’il ne connaît aucun des ingénieurs ou des architectes des lieux et qu’il n’a confiance qu’en des artisans avec de bonnes références. N’importe quel crétin peut construire une cabane dans un arbre pour essayer d’impressionner la galerie, mais rien ne garantit qu’elle passera l’hiver ou que les rambardes soient bien fixées. Les explorateurs n’ont pas le sens de la survie, donc rien de surprenant que leur QG soit situé en un endroit aussi absurde. Ne parlons même pas de l’installation de l’électricité ou de l’eau courante. Les explorateurs, il lui semble, sont particulièrement friands d’esbroufe. Maarten déteste beaucoup de choses, et l’esbroufe figure sur le podium.

Bref, en lieu et place d’explications sur ses inquiétudes parfaitement rationnelles qui ne sont pas du tout des excuses et qui n’impliquent pas du tout de vertige ou d’angoisse mystérieuse, le grand blond fait ce qu’il fait de mieux : il grogne. Un son bref, qui exprime tout ça à la fois, pour qui le connaît assez bien. Pour les autres, le blond donne juste l'impression d’être un ours mal léché.

Olivia : « Entre nous deux, je crois que c’est toi qui as le plus de chances de te perdre… »

Ils prennent la route en parlant, la jeune femme sait exactement où elle doit aller, les abords de la brume sont son territoire et elle y évolue comme un poisson dans l’eau. Blague à part, Maarten sait qu’elle a raison. Il marche à quelques pas derrière elle, comme un garde du corps, sans y réfléchir, l’air ailleurs parce qu’il regarde le brouillard au loin, les sourcils froncés.  

Maarten : « C’est uniquement parce que je ne suis pas autorisé à y entrer. Si une ahurie dans ton genre peut y retrouver son chemin, je suppose que n’importe qui peut y arriver. Je me trompe ? »

Son ton acerbe est presque plus fraternel qu’agressif dans ces quelques mots, parce qu’il a peut-être un peu honte de ne pas avoir osé s’engager chez les explorateurs.

Olivia ne peut pas savoir ce qui lui passe par la tête, et elle vient sans doute d’avaler son café car son énergie semble à son maximum : elle continue de lui jeter des petites pierres de sarcasmes, sans s’arrêter. Il a envie d'attraper son ridicule petit cou et l'étrangler pour qu'elle se taise, mais il se contente d'arborer son expression la plus désabusée possible et de profiter de sa nicotine en silence.

Olivia : « … Oh et moi je suis pas un Garde alors c’est pas mon travail d’aller te chercher, mais je veux bien t’envoyer des secours si j’me souviens encore de toi en sortant de la brume. »

Cette infâme petite peste.

Maarten : « On va trouver un juste milieu, tu veux ? Toi, tu fais ton travail, sagement, loin de la brume, et moi le mien. Ensuite, on rentre chacun chez soi, et on n'en reparle plus jamais. »

Le clin d'oeil espiègle de la jolie brune reçoit en réponse le regard sinistre de l'homme mécontent.

Maarten : « D'ailleurs...»

Il retire d'un geste délicat sa cigarette d'entre ses lèvres et regarde la chasseresse en coin, pendant qu'elle s'approche de ce qui ressemble à des pièges, et qu'il surveille instinctivement les environs sans vraiment y penser.

Maarten : « Ton travail, en quoi il consiste exactement ? A brutaliser sans raison la faune locale pour te fabriquer un joli petit manteau en fourrure qui te tiendra chaud cet hiver ? »

A son tour de lancer un petit sarcasme, teinté de sincère curiosité et de soif d'apprendre ; il aimerait savoir à quoi les explorateurs passent leurs journées. Même s'il est clairement accompagné du pire spécimen.