Hémoglobines.

Peinture visqueuse qui parsemait le sol de cette création artistique involontaire, fontaine sanguine qui gisait de son crâne amoché après une chute provenant du premier pallier. Bâtiment vieillot et inhabité qu'elle avait fouillé à l'extérieur de ses heures de travail pour dégoter quoi que ce soit d'utile, les planches avaient cédé malgré le faible poids qui les avait sollicité. Et ses recherches l'avaient ramené au rez-de-chaussée, devant la porte d'entrée, la tête sur le sol carrelé, la face ensanglantée. Goût métallique entre ses lippes, la douleur n'avait pas tardé à arriver. Mais malgré tout, la bras droit s'était relevée en titubant, le regard orienté vers le trou béant qu'elle avait franchi quelques instants auparavant.

Contemplation dénuée de sens, quelques poussières virevoltaient autour de cette silhouette immobile aux allures fantomatiques. Une seule question planait dans son esprit embrouillé alors que les perles rougeâtres continuaient de couler et parsemer son épiderme légèrement bronzé; pourquoi ? Quelle était la raison de toute cette mascarade ? Pourquoi ne lui envoyait-Il pas le moindre signe en dépit de sa foi inébranlable ? Enfin, inébranlable ? Plus tellement. Doutes aussi sombres que cette brume qui les asphyxiait sur cette île inconnue et vraisemblablement pleine de secrets, Samuelle ne savait plus en quoi ou plutôt qui croire. Le divin devait avoir un plan pour eux, c'était certain. Mais ... Allaient-ils connaitre une bonne fin ?
Purgatoire ou Enfer, fiction ou vie réelle, interrogations restées sans réponses, la garde peinait à garder espoir, à garder la foi. Elle ne savait même plus si elle croyait en Lui avant d'arriver ici. Quelle ironie.

Démarche imitant celle qu'elle adoptait lorsqu'inhibée, la demoiselle déambulait dans les rues vides de New Heaven. Rues silencieuses, l'absence de signe de vie donnait à ces charmantes allées goudronnées un air glacial, froid, triste et solitaire que seuls les films d'horreur de série B pouvaient envier. Lumières aveuglantes au loin, le Royal dans toute sa splendeur illuminait l'horizon tel un phare attirant parieurs et âmes en peine. Pas à pas, la demoiselle gagna finalement l'accueil où deux de ses subordonnés étaient postés, assis en train de papoter. Leurs expressions changèrent du tout au tout lorsque leurs regards croisèrent celui de leur cheffe et ils se dépêchèrent de l'approcher pour lui proposer un peu d'aide. Mais Samuelle savait parfaitement ce qu'ils comptaient dire. Qu'elle devait aller à l'hôpital pour se faire soigner, pour éviter qu'elle ne se vide de son sang inutilement. Cependant cette idée lui déplaisait, la révulsait complètement. Elle ne voulait pas aller à l'hosto. Et encore moins laisser les médecins la manipuler. Geste de la main assuré, elle leur ordonna silencieusement de se rasseoir et de la laisser agir; après tout elle restait leur supérieur hiérarchique.
Débarrassée de ses collègues, l'Australienne reprit sa route et entama sa très longue ascension jusqu'au 4e étage avant d'approcher d'une porte. Un coup, deux coups. "Hey." Fit-elle, sa voix relativement calme et posée pour une personne blessée. "C'est moi. J'ai besoin d'un petit coup de main Kaïa. S'il te plaît. Dis moi qu't'es là ... J'ai pas vraiment envie de me taper l'allez-retour jusqu'à la Mairie."

"Bon sang, c'est le cas de le dire ..." Voile sanguin derrière lequel se dissimulait ses traits habituellement mornes incapables de s'illuminer, Samuelle haletait silencieusement, épuisée par le peu de marche qui l'avait séparé du lieu de l'impact. Sens endoloris et endormis, les informations grimpaient plus lentement jusqu'à son cerveau sans qu'elle ne le remarque réellement. Tirée à l'intérieur de la chambre de sa sauveuse, la bras droit huma l'odeur rassurante de son amie planant dans la pièce avant de se poser à l'endroit indiqué, sur le lit. Tête légèrement en avant pour ne pas tâcher ses draps de son liquide vital, la douleur à son crâne l'empêchait de sombrer dans un sommeil profond dont elle ne se relèverait pas sans soins immédiats.

Peut-être qu'explorer les quelques bâtiments non-utilisés, carrément abandonnés, de New-Heaven n'était pas une si bonne idée; d'autant plus que d'autres moins occupés s'en était probablement déjà chargés. Haine de cette île qu'elle passait sous silence, haine désabusée transformée en tristesse éternelle, fardeau pour un coeur qui ne demandait qu'à sauver et être sauvée. Un besoin de passer ses nerfs maltraités, de se raccrocher à un faible espoir pour fuir cet endroit dont ils ne savaient rien, de comprendre la raison de leur présence. Mais rien, pas le moindre message.

Kaïa revint alors dans la pièce principale, chargée comme une mule, avec le matériel nécessaire pour réparer les conséquences de sa chute. Les lippes de la garde s'arquèrent brièvement en guise de remerciement tandis qu'elle préparait les gazes, bandages et autres affaires. "Désolée de te déranger en pleine soirée. J'espère que tu ne faisais rien de très important." Murmura-t-elle en avalant par inadvertance son propre sang. Goût métallique dans la bouche, elle grimaça brièvement avant de reprendre une expression relativement neutre et détachée de la situation ainsi que de la douleur. "Et toi Kaïa ... Tout va bien chez toi ? Le conseil, tout ça ?" Bailla-t-elle presque, fronçant les sourcils par intermittence lorsque l'hawaïenne commença à s'occuper de sa plaie. "Personne t'emmerdes d'ailleurs ? Je sais que le Conseil fait pas l'unanimité parmi les insulaires, et c'est okay tant que ça reste civil, sans violences ni insultes. Si jamais ça dépassait ça par contre ... Je m'en occuperai. Tu peux en parler à Ahmès ou moi, on se chargera du reste et de punir ceux qui doivent être punis." Un regard fugace vers sa main, cette même main qui avait fouetté plusieurs personnes au nom de la sécurité. Leurs dos n'étaient pas très beaux à voir après leur châtiment. Mais tel était son rôle, d'être le bras armé du conseil, de protéger la veuve et l'orphelin, de punir les mécréants. Peut-être qu'Il l'avait décidé, ou peut-être qu'elle aimait ce pouvoir au fond, qui sait. "Désolée, mes discussions ne sont pas très joyeuses. Mais ... Je suis là pour toi, comme tu l'es pour moi."

Comportement imprudent voir complètement insouciant, Samuelle s'était moquée de sa propre sécurité pour s'accrocher à un vain espoir désabusé. En proie au désespoir et tout ce que cela entraînait, voir ainsi sa camarade s'occuper de ses plaies et la panser la soulageait. L'île était son ennemie et la plupart de ses habitants l'antagonisait car elle représentait ordre et fermeté; une allié n'était pas de trop, surtout une aussi douce et agréable que Kaïa. "Je ferai en sorte que la violence ne se déverse pas dans nos rues. Je te le promets." Regard entendu avec la membre du conseil, elle retenue une grimace de douleur en sentant la compresse contre sa blessure.

"Pareil ... Mais les gens préfèrent céder à la panique et la colère plutôt que de se poser deux secondes pour réfléchir." Elle soupira. "J'fais pas ce job pour le plaisir. J'sais juste que c'est nécessaire pour notre survie. Et, tu connais l'dicton, marche ou crève et moi je refuse de passer l'arme à gauche. Pas ici. Surtout pas ici." Son ton se fit légèrement plus rêveur. Mais pas de fierté à l'horizon. "Vu mon tempérament je devais être militaire ou quelque chose dans le genre fut un temps. Peut-être geôlière qui sait. Ou boxeuse." Ses yeux se posèrent sur l'Hawaïenne à la coupe semi-défaite, longuement, le temps de discerner ses traits et de les imprimer. Puis sa question la fit rire, amèrement. "C'est mort." Pas de place aux explications, cette peur viscérale lui tenait les tripes et la transperçait telle des lames acérées. Et puis son amie savait très bien les raisons qui la poussaient à la déranger en cette belle soirée.

Mais se faire recoudre sans la moindre anesthésie allait être une épreuve. Alors, elle sortit une petite flasque de la poche intérieure de sa tenue de garde. Son contenant était évident. Une gorgée, deux gorgées, trois gorgées. De quoi éponger la douleur. Une quatrième, une cinquième et une sixième pour se donner du courage. Et le reste pour oublier. "Continue de me parler lorsque tu m'recoudras okay ?" Histoire qu'elle ait quelque chose sur quoi se concentrer. "Genre ... Ouais. Tu pensais être qui avant ? Pour moi tu devais être quelqu'un travaillant dans une ONG ou quelque chose du genre. Quelqu'un de bien. Ça j'en suis complètement certaine." Un petit sourire.