Oeil vigilant qui détaillait ces écrans avec un sérieux digne des plus grands, Samuelle attendait patiemment. Temps sablonneux qui s'écoulait à une vitesse insuffisante, le sablier de cet instance de surveillance peinait à égaler ses instants de liberté trop rares et bien trop courts pour combler pleinement son besoin de distraction. Charge mentale intense, être responsable du bien-être et de la sécurité de tous pouvait avoir un effet pesant sur sa conscience. Plus de place aux questionnements existentiels lorsque Samuelle était en service; elle avait bien trop de choses à garder à l'esprit pour se permettre de pouvoir perpétuellement demander pourquoi Il les avait envoyé ici. Et puis ... Il était préférable, pour le moral, de ne pas davantage se torturer avec des interrogations qui allaient de toute façon rester en suspens.

Regard à la flamme soufflé, la demoiselle vit certains insulaires se déplacer dans les couloirs du grand casino qui les abritait, d'autres partir dans le casino, certains simplement discuter dans le patio. Illusion de normalité qu'instaurait cette société menacée par certaines personnes égoïstes, la bras droit trouvait un certain réconfort dans cette fausse vie : personne n'avait envie de rester ici, néanmoins la plupart s'efforçaient de jouer le jeu pour le bien commun. Et puis, au fond, était-ce vraiment un mensonge ? Les amitiés et les liens créés ici bas, étaient réels, n'est-ce pas ? Alors, cette illusion s'apparentait à la réalité, une imitation parfaite à laquelle personne ne pouvait se dérober. Et Samuelle acceptait peu à peu l'idée de son inévitabilité.
Sonnerie qui la tira de sa rêverie éveillée, son tour de garde était désormais achevé. Quelques secondes passèrent avant qu'une silhouette ne se glissa derrière elle et au son des pas il s'agissait de Chris, un autre garde. "Merci d'être ponctuel." Murmura doucement la supérieure avant de se redresser du siège et doucement s'étirer. Dos endolori après tout ce temps passé en inertie, son sang se remit à circuler correctement. Une tape sur l'épaule du surveillant du soir en guise d'au revoir et la garde sortit de la salle de surveillance, les mains dans les poches.

Un bâillement, deux bâillements, pas question pour elle d'aller se coucher. Son instant de liberté ne pouvait se résumer à essayer de se reposer tout en appréhendant sa prochaine journée. Ses pas la menèrent jusqu'au casino, et plus exactement jusqu'au bar. Habituée, elle s'assit à son tabouret préféré avant de commander un Blue Lagoon tout en observant les alentours. Voir de la vie, entendre des rires et sentir l'alcool s'immiscer dans ses veines pour la désinhiber lui offrait un plaisir rarement égalé. Peut-être que se lâcher autour d'un cocktail lui permettait d'ouvrir les vannes, de se laisser aller le temps d'une simple soirée, elle qui était si sérieuse et s'efforçait corps et âme de faire un bon travail, elle espérait pouvoir mériter ces instants de paix.

Liquide avalé, verre rempli, petit à petit le monde se mit à tanguer. Bateau sur lequel elle ne pouvait rester sans rejeter tout ce qu'elle venait d'ingurgiter, elle décida de se reposer brièvement, tête contre le comptoir, yeux fermés. Elle aurait peut-être dû manger pour éponger cette distraction alcoolisée. Néanmoins Samuelle se sentait mieux ainsi, un peu plus légère, les tracas quotidiens s'étaient noyés sous cet alcool parfumé. Puis une claque dans le dos. Un grognement. Des reproches. Puis on la tire en arrière de façon à la faire tomber, chute digne d'une comédie qu'elle agrémenta d'un cri surprise complètement incontrôlé avant de se faire frapper au niveau des jambes. Incapable de réagir, son cerveau peinant à assimiler la tonne d'information, elle se laissa relever avant de regarder son agresseuse. "Bon sang Mika." Fit-elle avant de se dégager comme elle put de son emprise, frustrée. "Tu peux pas dire bonsoir comme tout le monde ?" Pointe de colère dans son ton blasé. Sans répondre aux questions de la jeunette, l'adulte sortit de sa poche son porte-monnaie -plus un porte-ticket-  et paya ses consommations avant de devoir reprendre appui sur l'étudiante malgré elle. "Mon foie t'remercie pour ton inquiétude kiddo, mais mes muscles t'en veulent, j'ai eu une longue journée." Traînée à moitié de force vers l'ascenseur, la bras droit accepta son cruel destin et fit ses adieux pour ce soir aux lumières stroboscopiques des machines à sous ainsi qu'à leurs bruits si caractéristiques. "T'as pris ma carte ... Tu comptes me ramener dans ma chambre ? J'ai même pas pu manger ..." Cela expliquait son état lamentable en quelques verres à peine. "Toi qui pêche, t'as pas un poisson dans la poche à me faire griller, là, de suite ?" Elle pouffa.

Samuelle n'avait pas oublié le caractère acerbe et bien affirmé de la demoiselle. Une jeunesse insouciante, légèrement violente qui débordait d'une énergie impossible à confiner et encore moins à apprivoiser. Enfin. Un certain homme au bob avait réussi à le faire pourtant, curieuse chose quand on y repensait. Comme quoi, les relations humaines restaient un mystère, même pour une femme comme elle qui passait son temps au contact des autres. "Tu sais Mika, c'est en partie grâce à mon travail que ce rêve dans lequel tu te trouves ne devient pas un cauchemars infernal." Un bref rire illumina ses lippes trop souvent tristes, comme quoi, il fallait tirer profit des petites choses et attentions, le genre d'instants qui devenait bien vite des souvenirs flous qui ne laissaient plus qu'une vague sensation de tranquillité et douceur lorsque l'on y repensait. Comme maintenant, dans cette cage d'ascenseur bien nettoyée.

"C'est gentil d'me nourrir. Les rôles devraient être inversés pourtant. J'dis pas que t'as l'âge d'être ma fille, mais une petite soeur, probablement. Quoi que, pas assez rousse à mon goût pour ça. Recalée." Un nouveau rire, témoignant du liquide extérieur qui accompagnait le sang qui coulait à flot dans ses veines. "Tu crois vraiment que les sous-chefs ont le temps de s'ennuyer ? Pah ! Les boss sont les vrais flemmards si tu veux mon avis, j'me tape toute la marche ! Oksana te dira la même chose, j'en suis certaine ! Les grands ils sont juste à discuter autour de la table ronde. À croire qu'ils croient pour des personnages de la légende arthurienne." Une main dans ses mèches blondes, de quoi déranger davantage sa chevelure en bataille. Geste amical teinté d'affection et de bienveillance, petite sucrerie délicate qu'elle offrait à tous ceux qu'elle considérait un tant soit peu. Boisson affligeante, les répercussions se faisaient ressentir. Mais pas le temps pour tituber au s'effondrer, sa mission de la soirée était de revenir dans son lit sans clamser.

Étage atteint sans grand problème, elles s'aventurèrent dans les dangereux couloirs composés exclusivement de moquette affreusement affreuse et de plantes vertes horriblement ... Vertes. "Eh beh kiddo, faut qu'tu postules chez les Explorateurs, t'as de l'avenir, tu peux me croire." Répondit-elle avec autant de légèreté avant de se détacher de la petite lorsqu'elles entrèrent dans la chambre numéro 9. Décoration classique, aucune touche personnelle à signaler, même pas une pauvre bouteille qui trainait dans le coin; un endroit nickel. Sans attendre davantage, la bras droit laissa sa carcasse s'échouer sur le rivage de son lit, la gigantesque vague de couverture la recouvrant aussitôt pour l'emporter dans les abîmes du sommeil. Mais pas le temps de mourir temporairement, la petite était là à veiller sur elle. "Pourquoi tu m'cherchais au fait ... ? J'imaginais que tu trainais avec 'sieur au bob plutôt, un truc du style. Mais j'suis ravie d'avoir d'la compagnie, j'dis pas hein. C'cool." Ronfla-t-elle à moitié, tête sur le coussin, petit sourire aux lèvres. "Besoin de discuter, pas vrai ?" Elle ouvrit un oeil pour l'observer.

Évanouie sur son lit drapé, la tête reposée contre un coussin moelleux et le corps recroquevillé pour conserver le peu de chaleur corporelle qui lui restait, Samuelle écoutait la jeune demoiselle s'exclamer et inévitablement se plaindre de son statut d'étudiante. Evidence même pour une gamine qui recherchait la liberté, être cantonnée aux murs d'un faux établissement scolaire n'allait pas suffire à satisfaire ses besoins d'indépendance. La garde n'avait pas répondu sur le coup et s'était contentée d'attendre d'avoir atteint sa chambre avant de le faire. "Tu sais parfaitement ce que je vais te dire, que les cours c'est important et qu'étudier aussi blabla." Elle n'avait pas la force de jouer les moralisatrices, pas maintenant et clairement pas dans cet état. "C'est les règles, on s'y plie, c'est tout. Vois le bon côté, il te reste moins d'une année et tu pourras aller te jeter dans la brume à bras ouverts." Elle-même ne savait guère comment ses propres années de lycée et d'université s'étaient déroulées, néanmoins elle supposait avoir été relativement assidue.

Elle espérait. Difficile de savoir, difficile d'assumer quoi que ce soit dans un contexte aussi ... Particulier que celui dans lequel ils étaient tous plongés; submergés par le doute et l'inquiétude, impossible de confirmer ou d'infirmer quoi que ce soit. La moindre assumption pouvait être remise en question, les évidences pouvaient ne plus tellement l'être. Étaient-ils ne serait-ce que sur terre ? Vivants ? Entre les deux ? Qui étaient les gentils, les méchants ? Tant de doutes, tant de questions, l'alcool n'aidant pas à la compréhension. Loin de là.

La conversation dévia sur la vraie raison de leurs retrouvailles : Mika avait besoin de discuter. De quelqu'un pour la conseiller ou tout simplement l'écouter sans broncher, une épaule sur laquelle pleurer ou un punching-ball sur lequel se défouler. Samuelle remplissait chaque critère à la perfection. L'adulte se décala légèrement et -sans regarder sa camarade- se contenta d'ouvrir les bras pour l'inviter à s'allonger à ses côtés. Voir lui faire un câlin, selon le besoin. "J'suis là kiddo." Murmura-t-elle, yeux fermés. "J'sais pas c'qui te tracasses mais si t'as besoin d'en parler, déballe. Ça te fera que du bien. Faut pas garder pour nous nos problèmes." Ironique de sa part. "J'vois pas l'intérêt de juger les autres, surtout quand ils nous confient des secrets dans ce style. Y'a pas de raisons. C'est juste un gage de confiance et juger reviendrait à la briser, cette confiance." Elle bailla et se retourna pour faire face à la jeunesse. "Allez. Dis moi tout."