Mardi…
J’entrai dans le bar du Royal, encore surprise par le nombre de gens qui se défoncent la gueule le mardi. Depuis le temps que j’étais arrivée ici, j’aurais dû me douter que ce serait le cas, mais ça me faisait quand même étrange de voir toute cette bande de paumés de la vie dans le bar. J’sais bien que l’alcool aide à oublier la réalité, mais franchement… Qu’est-ce qu’il leur restait à oublier à part leur propre nom ? Quoique… Vu les noms de certains, j’imagine que je peux comprendre pourquoi ils boivent.

Je m’avançai dans le bar en notant bien les visages des gens qui étaient présents. Personne de bien intéressant, juste une bande de déprimés saouls. Et surtout… Pas de ‘petit con’ en vue. J’aurais été bien embêtée de le voir ici alors que j’étais sur le point de demander une faveur à la barmaid. Non, évidemment que ce n’était pas pour me bourrer la gueule. Pour quelle raison, autre qu’une commission, est-ce que je serais venue un mardi sinon ? Il n’y a que les employés et les déchets humains qui viennent le mardi. Ce n’est pas exactement le genre d’ambiance qui m’incite à boire.

Je soupirai, résolue à terminer mon petit voyage rapidement avant de retourner au 7ème étage. Vraiment… L’ambiance était aussi déprimante que des funérailles. C’était à se demander comment la barmaid faisait pour endurer les soirées du genre. Je m’approchai du comptoir, un sourire sur le visage, avant de m’adresser à la petite rouquine du bar.

« Euphyyyy ? »

Le ton que j’avais employé ressemblait en tout point à celui d’un enfant qui s’apprêtait à demander du chocolat à sa mère. Bah quoi ? Je n’allais quand même pas utiliser un ton rude quand j’allais lui demander une faveur ! En fait, c’était une très mauvaise idée d’envoyer chier la personne qui sert l’alcool ou la nourriture en général. Je pouvais me permettre d’être désagréable avec pratiquement tout le monde, sauf les employés de restaurants et de bars.

J’attendis d’avoir l’attention d’Euphialtes, puis je jetai un rapide coup d’œil autour de moi afin de vérifier que personne ne se tenait trop près de nous… Mais bien évidemment, tous les rejets de la société qui noyaient leurs soucis dans l’alcool le mardi avaient préféré des coins à l’éclairage plus tamisé, comme si ça pouvait aider à cacher leur honte. Je continuai donc avec une voix douce après avoir obtenu l’attention de la rousse :

« Par le plus pur des hasards… Est-ce que tu me vendrais une bouteille de rhum ? »

L’expression d’Euphialtes était passée à l’amusement lorsqu’elle s’était tournée vers moi. Elle écouta ce que j’avais à lui demander avec un air joueur sur le visage, puis elle me répondit comme n’importe quelle barmaid qui se respecte, me demandant pourquoi est-ce qu’elle accepterait cette transaction. Je lui répondis à la blague :

« Parce que je suis ta cliente préférée ? »

Évidemment, ça ne devait pas être le cas, mais ce n’était pas bien grave. Je n’essayais pas de la convaincre seulement par les sentiments. Ça ne fonctionnait qu’avec des imbéciles, ça… Elle pèserait probablement les avantages qu’elle retirerait de me faire cette faveur après avoir entendu ma proposition… Et ce n’était pas comme si je n’avais rien à offrir.

Je la regardai se diriger vers la réserve de rhum du bar, me demandant ce que je voulais et ce que j’étais prête à payer pour. Je lui souris.

« Un rhum ambré. Épicé. »

Je fis une petite pause pour prendre place sur l’un des tabourets du bar après avoir réalisé que j’étais toujours debout. Puis je continuai ma proposition.

« On s’entend que je ne poserais pas la question si je voulais payer le prix du supermarché. Je t’offre le même prix que ce que je payerais au bar en temps normal, donc le bar ne perdrait pas d’argent. Et pour toi, en retour… »

J’affichai un air penseur. Je ne savais pas exactement de quoi Euphialtes pouvait avoir besoin, mais ça pouvait toujours se négocier. J’étais plutôt flexible sur le genre de services que je pouvais offrir.

« Si t’as besoin de petits services en tout genre, je suis là. »

Je lui fis un clin d’œil avant de préciser à la blague :

« Bon, par contre, je ne casse pas les genoux des gens, mais des petits accidents ça peut toujours arriver. »