Elle a été sage, m’sieur le juge, promis juré. Elle rentre à peine, d’ailleurs, comme le témoigne encore son uniforme d’éclaireuse, décorés de moult tâches de boues, ici et là. Les cheveux courts et mal coupés indomptables, et une fine pellicule de sueur encore couvrant son front, les grands yeux bleus encore embrumés de délices qu’elle a pu voir la bas dans le brouillard. Mais le rêve est terminé, et elle aurait dû aller se laver, changer de vêtements, et trouver une brève occupation dans sa pauvre vie vide avant la prochaine mission.

Alors elle n’a rien fait de spécial, quand elle sentit un souffle impie lui caresser l’oreille. Une sensation aussi effrayante que délicieuse. Elle se tourne immédiatement, sursautant un peu, et le voit. Lui.
“Oh salut Chef!” Appellation un peu hors contexte, après tout il n’est pas son chef, elle n’est pas un membre de la garde. Mais il reste LE chef. Celui sur lequel il ne faut pas marcher, et Alcina n’a pas vraiment une ardoise très propre. Elle lui sourit cependant, remettant une mèche derrière son oreille, les joues légèrement colorées malgré elle. Flattée oui, évidemment, le chef de la garde qui la remarque au milieu du reste des gens, un type aussi grand et important que lui, bien évidemment qu’elle se sent bizarre d’être interpellée -de cette façon qui plus est. Bizarre, dans le bon sens du terme. Il n’attendait pas qu’il se souvienne de son nom, un pauvre nom minable, et encore moins  de sa tête. “Brune Casse-cou” lui va très bien.

Elle jette un œil au casino, un peu qu’elle connaît bien, en effet. Le sanctuaire de bien de ses nuits agitées. “Ah! Ouais j’y vais souvent.” Elle recula d’un petit pas, un léger sourire aux lèvres et un sourcil élevé. Pourquoi cette question ? “Vous avez besoin d’un guide ? Je suis libre.” Beaucoup trop libre. Beaucoup de temps, et les tickets de sa paye à flamber.

Bref regard vers sa tenue, et elle conclut l’argument du Garde avec un haussement de tête approbateur et une légère grimace. Elle ne serait probablement pas la plus mal habillée du Casino, mais oui, en effet, elle peut faire mieux, beaucoup mieux. Tout aussi acides que les mots du jeune homme puisse être, Alcina ne semble en faire peu de cas. Quand bien même elle n’imaginait nullement que tout de go, le chef des gardes lui indique -doux euphémisme- de s’habiller et se laver pour une soirée. Elle ne s’étonne pas, pas plus qu’elle ne discute cet ordre : Plus bizarre s’est déjà passé sur l’île après tout.

Elle ne peut s’empêcher ses lèvres s’étirer sur un sourire quand elle entend un certain mot cependant : ‘caché’. Est-ce qu’elle entend également la menace à peine dissimulée qui suit ? Bien sûr, mais des menaces ce n’était pas franchement ce qui la surprenait le plus, pas vu son palmarès. Les cicatrices de fouets dans le dos sont un témoignage plus que convaincant de ce qu’elle sait qui peut l’attendre. Elle n’a absolument pas peur. Mais elle est curieuse, et elle sait que c’est ce qui va la perdre. Et elle va s’y jeter, les deux pieds dedans.

“Plaisir caché?” Fit-elle avec une fausse innocence, les deux mains levées en signe de reddition. “Moi j’ai rien à cacher, Chef.”  Si un quelconque plaisir est trouvé cette soirée, il sera visible en grand sur sa face d’idiote couturée de vieilles cicatrices.

Bref parodie de salut militaire. “Sur ce… j’vais me préparer.” Elle recule d’une paire de pas pour ne pas le quitter des yeux, nuques légèrement baissées : sagement obéissantes. “J’en déduis que vous savez où est ma chambre.” A son plus grand étonnement, il était au courant de bien des choses sur une insignifiante éclaireuse. Elle, elle savait où il logeait cependant, une chambre juste à côté de la sienne. Difficile de rater une telle présence dans les couloirs en fin de soirée. “Sinon… j’serai pas très longue. "

Pas très longue, de quoi trouver la tenue idéale dans celles qui ornent son petit palais de broques. Certaines volées, d’autres très aimablement offertes. C’est une de ses dernières qu’elle enfile pour la soirée, pas vraiment choisie par elle, du coup elle sait très bien que c’est ce qui convient au regard masculin. Une robe au bleu sombre, outrageusement proche du corps, mettant en valeur sa taille échancrée et ses formes appuyées, particulièrement son généreux séant. Ce dernier trait souligné par l’absence de longueur du tissu, révélant ses épaisses cuisses rendues solides par l'exercice physique : bien avant son arrivée sur l’île, l’éclaireuse était déjà visiblement sportive.

Khol sur les yeux et poudre sur les joues, lèvres peintes en rouge, talons élégants aux pieds, et petit sac à main pour compléter la tenue, Alcina sortit de sa chambre, la tête haute malgré sa courte taille, loin de son apparence habituelle de pestiférée kleptomane. Quel que soit le jeu qui se prépare, la jeune éclaireuse est fin prête. Elle a un faible pour les adversaires robustes. Et même en se battant bec et ongle, il n'y a bien souvent rien de plus délicieux que de perdre... selon ses propres termes.

C’est avec une surprise partagée que les deux se regardaient en sortant de leur chambre. Un bref mouvement de tête appréciateur quand elle voit le costume trois pièces parfaitement ajusté. Non, en effet, elle ne s’était pas attendu a ce qu’il s’apprète pour l’occasion. Mais le soudain changement de ton lui accorda la satisfaction intérieure d’avoir au moins réussit un semblant d’effet.  Mais elle lui accorde un large sourire en prenant son coude aimablement tendu, et se dirige avec lui au casino. Malgré son envie de pépier sur ce qu’elle a vu dans la Brume pendant son exprédition a peine achevée, Alcina est trop curieuse de la suite pour s’agiter. Elle remue juste un petit peu la tête au son de la musique du casino, qui raisonne de loin au fur et a mesure qu’ils déscendent les étages, pour finalement arriver au lieu dit. Alcina agrippe un peu plus le bras musclé de son compagnon de la soirée, toujours aussi friande de cette ambiance. L’esprit déjà excité par les couleurs, les mélodies et les allers et venus. C’est plus fort qu’elle, l’animation et l’adrénaline sont toujours un chant des sirènes pour elle.

Elle lève son petit nez vers l’auguste stature carrée du chef de la garde, voyant qu’il louche sur elle, attendant visiblement quelque chose. Oh, il lui donne le choix de l’arme, c’est très urbain de sa part, même s' ils ne jouent pas du tout au même jeu. Elle sent son regard s'attarder sur elle alors qu’elle frotte un index distrait sur son menton, et ça lui plait. Alors elle prétend réfléchir encore un peu, avant de planter ses grands yeux bleus dans les siens, et de lui afficher un tendre sourire. “Allons au Black Jack.” Commente-t-elle en l’invitant à la suivre vers une des tables. “J’aime beaucoup le poker, mais je suis trop expressive. Ça serait beaucoup, beaucoup trop facile.” Ajoute-t-elle avec un bref rire. “Et moi aussi, je joue pour gagner.” Sourire en coin. Gagner quoi exactement ?

Alcina tire sur sa petite robe courte pour s’installer sans offrir une vue plongeante sur ses dessous -choisis avec soin- et attend que le Chef des Gardes, la suit. Ce dernier est immédiatement salué à droite et à gauche par tout le monde, y compris le croupier, avec le respect qu’il mérite. Ça couvre et se répand en politesses qui puent l’hypocrisie et le besoin de pourboire. Par ailleurs, un serveur est directement arrivé pour lui demander, un sourire éclatant si il souhaite boire quelque chose. Alcina remarque ça sans vraiment y faire plus ce cas, sortant ses tickets de son sac, elle n’est personne dans ce monde. Mais elle le regarde attentivement, sourire tranquille aux lèvres, curieuse de savoir comment un homme pareil gère sa célébrité.

“La même chose que vous." Fit la jeune femme, les yeux brillants. Plus que pour l’appat du gain, elle est là pour s’amuser, et si il faut que ce soit dans les termes de Mr le Chef, elle le fait avec plaisir. Une fois que les parasites désagréables ont quitté son dos, ils sont seuls face au croupier, et peuvent commencer en paix leur jeu. Alcina ne sait pas vraiment comment prendre le fait qu’il était visiblement tendu à partir du moment où il s’est retrouvé entouré d’autant d’attention. Par contre, elle a immédiatement remarqué qu’il était très peu à l'aise. Et elle n’aime pas voir ça. Quand elle accompagne quelqu’un, surtout ici, ou c’est donnant-donnant, elle met tout en œuvre pour que la personne soit le plus à l’aise possible. Maarten adorait être massé et complimenté, Antonio voulait juste de l’attention et des baisers, et Arthur… se plaindre et se saouler. Difficile de lire l’énigmatique Garde, mais Alcina sait une chose : Il l’a emmené avec lui pour jouer. Alors elle va se mettre à jouer.

Aucune des ses réactions n’est pourtant feinte, et la jeune voleuse passe un excellent moment. Elle rit gentiment quand elle gagne, glousse quand elle perd, sourit tout le temps, dévoile ses dents et plisse ses grands yeux bleus. Elle boit à son verre avec parcimonie, ne ressent pas le moindre stress, même en étant en présence d’un individu pareil. Elle remarque, parfois, quelques regards courroucés qui glissent sur elle, mais elle n’y fait pas le moindre cas. Ce sera leur tour demain, ce soir c’est à elle. Elles sont toutes milles fois plus belles qu’elle, plus grandes et plus minces, elle ne se fait aucun souci pour les femmes teigneuses, et aucune illusion pour sa pathétique personne.

Et soudainement, son sourire tombe comme un miroir qui se brise. Ses grands yeux doublent de volume, et elle reste le bras en l’air, carte à la main, prête à jouer derechef. Une parfaite idiote en jolie robe courte.
Elle ne sait pas ce qui la surprend le plus. Le ton, soudainement chaleureux, sincère, attentif… Lui, attentif à elle. La question surgit de nul part. Personne ne lui demande pourquoi elle vole, on la punit en espérant que ce soit la dernière, mais ce n’est jamais le cas. Ou alors tout bêtement le fait qu’il connaissait son prénom. Alcina, et non plus “Brune Casse-cou.”
Elle cligne un peu des yeux, et détourne le regard sur ses cartes, un faible sourire aux lèvres. Elle est prise de court. C’était pas le genre de jeu qu’elle était prête à jouer. Mais Alcina est beaucoup de choses, et menteuse n’en fait absolument pas partie.

Sa petite main se saisit de son verre, pour en regarder le fond, cherchant visiblement ses mots. Elle se demande si il va perdre patience, mais elle ne sait pas vraiment comment décrire ce qu’elle ressent. Elle opte pour la plus basique des vérités, celle qui est aussi ridicule qu’elle :
“... Je sais pas.” Avoue-t-elle, un léger sourire en coin en secouant doucement la tête: elle est minable, elle le sait très bien.

“Je… j’en ai besoin. C’est plus fort que moi. Ça monte en moi, ça me fait mal parfois. Je tremble, je respire pas, et j’ai envie de pleurer. Et parfois ça me poursuit pendant des jours, à m’en rendre malade. Quand vraiment je peux pas faire autrement je vole un petit truc, un stylo, une pierre, un mégot… n’importe quoi. Quand on me dit de le rendre, j’le fais, parfois…” Elle a un bref soupir, elle n’a probablement jamais été aussi sincère sur le sujet. “Quand je veux arrêter de le faire, parce que si je pouvais je le ferai, je me souviens de la sensation… Mais surtout je me souviens que c’est les seules fois où on me regarde, et qu’on comprend que j'existe. Alors je recommence, parce que j’y arrive plus… ” Maarten ne lui aurait probablement jamais parlé sans ça, Arthur n’aurait même pas cherché à en savoir plus si elle ne piquait pas ses cigarettes... Et plus récemment : “Vous ne sauriez même pas qui j’suis si j’étais pas une saloperie. Et on serait pas là si je devais pas répondre de mes crimes.” fit-elle à Ahmès avec un sourire tranquille. C’est la stricte vérité, et ça ne lui fait pas peur de l’affronter. Elle est tranquille avec ça, et elle est tranquille avec ce qui arrivera après.

“J’suis désolée Chef.” Fit-elle sobrement, mais néanmoins sincèrement, avant de boire une nouvelle gorgée. Si seulement la Brume l’avait gardée… elle serait plus une emmerde pour personne. Peut-être demain, avec un peu de chance. Peut-être demain.