État second. État de flottement. Il avait le sentiment d'être simple spectateur de sa propre vie.  Que tout était irréel. La panique était là, toujours en arrière-plan. Tapie, discrète. Prête à revenir, prête à éclater.

Elle rendait James confus.
Elle était là, profondément présente mais presque inconnue.
Il ne la comprenait pas, il n'avait pas l'impression qu'elle était vraiment sienne.
Il ne la ressentait jamais. Presque jamais. Et la dernière fois devait être bien avant qu'il ne devienne insulaire.
Il n'en avait absolument aucun souvenir.

L'homme avait avant tout toqué chez Kiddo, chez la gamine qu'il avait déjà sous l'aile. Il l'avait assaillie, questionnée, chercher auprès d'elle ce qui était les racines de leur lien. Il avait dû la surprendre en lui demandant, de manière inepte, ce qu'étaitêtre un bon père.

Un père.
Il était un père pour de vrai maintenant.
Ce n'était pas seulement un lien de cœur, on lui avait confié une adolescente.
Et il était toujours perdu, ne savait toujours que faire de cette information. Il ne pouvait pas se contenter de l'oublier, de fermer les yeux comme si cela n'était pas arrivé.
Pour une fois, ce n'était pas quelque chose qui le laissait indifférent. C'était important.

Même s'il était toujours esseulé, il n'avait pas le choix. Il fallait au moins commencer par se présenter. Par la rencontrer. Il n'avait vu que des notes sur un document en papier, avec une photo, minuscule, carrée, calée au coin avec un trombone.

Cela indiquait.. tout, mais surtout, cela n'indiquait pas grand chose.

L'homme s'était donc une fois de plus aventuré dans l'hôtel, même s'il n'y avait plus domicile, esquivant les rencontres du mieux qu'il le pouvait. Il n'avait jamais banni des lieux, mais il n'avait pas le temps pour les conversations, encore moins pour celles concernant ses opinions. Sa haine du Conseil et ses avis polémiques sur les autorités. Il valait mieux ne croiser personne, au cas où.

Il s'arrêta devant la porte quatre-vingt-dix-neuf. Il se figea. Hésita un instant à rebrousser chemin, à faire tout le trajet dans l'autre sens et à rentrer dans sa bicoque pour se caler dans son lit avec sa couverture sur la tête.

Il toquerait trois fois.
Les yeux fermés.
Voilà.
C'était parfait. Parfait.

Il entendit la porte s'ouvrir et se rappela, évidemment, que s'il y frappait, normalement, il y avait un certain pourcentage de chances que quelqu'un lui ouvre.

Il ouvrit un oeil pour regarder qui se trouvait devant lui.
Il se retrouva là, devant sa fille, comme un idiot.
Est-ce qu'il la complimentait ? Est-ce que c'était déplacé pour un homme adulte de complimenter une jeune femme ? Même si c'était sa fille ? Sa fille depuis quelques heures ?
Il évita, gardant aussi en travers de la gorge les complexes salutations et les simples présentations.
Il perdit tout sens de l'improvisation.
Il était père. Père.

Père ?

Il lui fit un grand sourire maladroi et lui parla expressément vite, prononçant quelques mots d'une seule traite.

« Bonjouuur Kiyana ! Je.. m'appelle James, comment ça va ? Qu'est-ce qu'on t'a dit sur moi ?  »