Il savait qu'il n'aurait pas dû y aller, à cette foutue soirée.

Il avait refusé de porter un costume, mais il n'avait pas pu dire non à un petit verre – puis à un autre, et à un autre... Avait-il vraiment besoin de faire un dessin ?

Vasily se redressa doucement, tentant de remettre au clair ses pensées embrouillées. Pourquoi était-il ici ? La brume l'entourait, l'étouffait, et même après plusieurs expéditions, elle lui inspirait toujours autant de crainte (de curiosité).

Était-ce un rêve ? Un peu trop vivide, mais certains de ses rêves avaient tendance à être un peu trop lucides. Cela expliquerait pourquoi il se retrouvait dans la brume, seul, en pyjama et robe de chambre, sans équipement, sans aucune idée de comment il y était entré...

Enfin, pas si seul que ça, visiblement. Maintenant qu'il était levé, il apercevait des silhouettes, dont l'identité se confirma lorsqu'il avança prudemment à leur rencontre.

– Vous allez bien ? se hasarda-t-il à demander.

Oui, bien sûr, tout roulait. C'était parfaitement normal de se réveiller en pleine nuit (?) dans la brume. Presque aussi normal que de se réveiller amnésique sur une plage.

Il se pinça le bras, histoire de faire bonne mesure. Il grimaça. Définitivement pas un rêve.

En tout cas, une chose était sûre : il ne savait ni comment, ni pourquoi, mais tout était la faute à cette île de malheur.

Heureusement que Vasily n'était pas cardiaque. Et qu'il avait du sang-froid. Parce que là, quand il avait vu débarquer la mascotte orange fluo, il ne s'était pas tout de suite dit « tiens, voilà Olivia ! », mais plutôt « qu'est-ce que c'est que ça ça a pas intérêt à s'approcher sinon je le plante ».

Du sang-froid, donc.

Olivia ne semblait pas aller très bien (et il dut encore une fois mettre de côté ce sentiment de déjà-vu qu'il ressentait quand il voyait la jeune femme, d'où est-ce qu'il la connaissait, il devrait bien se rappeler de quelque chose–) et il ne put qu’être soulagé qu'elle ait au moins pensé à enlever la tête de son costume avant de vomir. Néanmoins, ça ne le rassurait pas pour la suite de la soirée. Ils étaient vulnérables, en terrain inconnu, et même s'il savait la jeune femme débrouillarde, elle n'était pas au mieux de sa forme.

Néanmoins, il était beaucoup plus inquiet pour Euphialtes ; il ne la connaissait pas vraiment, il savait juste qu'elle travaillait au casino, qu'il ne fréquentait que très peu. Elle semblait terrorisée, les yeux écarquillés et le corps tremblant, et Vasily réprima l'instinct protecteur qui le poussait à aller la voir. Elle ne le connaissait pas vraiment non plus, mieux valait laisser Olivia gérer ça, elle avait au moins l'air de connaître la jeune femme.

L'éclaireur identifia également Aina-Kea, qu'il reconnaissait du marché ; Vasily y allait toutes les semaines, il avait pris l'habitude de lia voir. Il avait aussi entendu parler ses tirages de cartes, mais le jeune homme n'y avait jamais prêté attention. Il ne s'intéressait pas à ces sottises... Et il n'était pas curieux, non, du tout. Iel s'était rapproché d'Euphialtes, glissant son bras autour de ses frêles épaules ; pour la rassurer ou pour se rassurer, il n'en savait rien, mais au moins n'étaient ils pas seuls...

Ils étaient donc quatre ici. Hormis Olivia et son costume, ils étaient en habit de nuit, seuls avec cet étrange petit appareil électronique qui bippait de moins en moins fort.

– C'est quoi ce truc ? Pourquoi il fait ce bruit ? Vous pensez qu'il va exploser ?

Vasily s'accroupit pour mieux observer l'appareil.

– J'espère que non, répondit-il. Peut-être devrions-nous éviter d'y toucher, dans le doute.

Le jeune homme prit soudain conscience de l'étrangeté de la situation. Il avait déjà été dans la brume à de nombreuses reprises, et même s'il n'avait jamais cessé de craindre celle-ci (il le fallait, prudence était mère de sûreté, surtout dans la brume, c'est ce qu'il aimerait bien répéter aux inconscients qui s'y rendaient sans autorisation), mais jamais encore il n'avait éprouvé cette terreur sourde qu'il ressentait au fond de lui. C'était comme si quelque chose lui disait qu'il devait partir, qu'il n'avait pas le droit d'être ici.

Il se redressa, cette soudaine angoisse lui tordant les entrailles. Il fallait qu'ils sortent d'ici.

La brume semblait plus dense que d'ordinaire. Il regarda autour de lui et s'aperçut qu'il ne distinguait même plus le costume orange d'Olivia. En fait, c'est à peine s'il pouvait voir ses pieds, le monde autour de lui semblait s'être évaporé dans une fumée blanche. La seule chose qu'il arrivait à voir était ce sentier, au loin, vision étrange quand il ne pouvait même pas apercevoir le sol sous ses pieds.

Il chercha vainement à voir ses camarades, essayant de garder sa respiration contrôlée – à respirer en mode manuel, on inspire et on expire, la panique ne lui servirait à rien – mais il n'y avait rien d'autre à voir que le blanc.

Il les entendait toujours, ce qui le rassura un peu.

– Restez groupés, dit-il d'une voix posée qui, il l'espérait, ne laissait pas transparaître son malaise. Je ne comprends pas ce qui nous arrive, mais ce n'est pas normal, même pour la brume. Essayons de nous rendre jusqu'au sentier, là-bas.

Le jeune homme avança lentement, attentif aux bruits qui l'entouraient. Il entendait les bruits de pas des autres derrière lui. Et devant lui. Et sur les côtés. En fait...

Il se stoppa net. Il y avait beaucoup trop de bruit pour qu'il ne soit que tous les quatre. Il y avait forcément quelqu'un (quelque chose) d'autre qu'eux dans la brume.

Il aurait voulu dire à Aina-Kea de ne pas jeter de pierre sur quoi que ce soit, tous ses instincts lui hurlant que ce lieu était dangereux, qu'il fallait s'enfuir d'ici le plus vite possible et de ne surtout, surtout pas provoquer quoi que ce soit qui pouvait se cacher dans la brume.

Il tendit l'oreille, et se détendit un peu lorsqu'il entendit la pierre toucher le sol. Peut-être que ces bruits de pas n'étaient pas vraiment là, après tout. Les hallucinations auditives, il y en avait dans la brume. Peut-être se faisait-il des films pour rien. Il fallait vraiment qu'il se calme.

– Qui sait ? Peut-être que ce sont seulement quelques chevreuils qui sont passés pas très loin… En tout cas, j’espère.

Vasily espérait vraiment aussi. Mais il avait des doutes sur la question...

Doutes qui furent rapidement confirmés lorsqu'il entendit Olivia pousser un cri et tomber au sol. Il commença à courir vers elle, agrippant les poignets d'Aina-Kea et d'Euphialtes sans management pour les inciter à rester derrière lui. Il était concentré sur l'exploratrice, déterminé à lui venir en aide – erreur de débutant que de ne pas prêter attention à ce qui l'entourait...

Il venait seulement de voir le monstre qui attaquait Olivia – chose affreuse, il n'avait jamais rien vu de tel dans la brume, c'était quoi ce bordel – lorsqu'il entendit l'avertissement de la jeune femme. Il se retourna et poussa un juron à la vue du second centipède qui se tenait à seulement quelques pas d'eux.

– Merde...

Il n'eut que quelques secondes pour décider quoi faire. Il ne pouvait pas attaquer ce monstre à lui seul, il lui fallait sauver Olivia et il fallait mettre les autres en sécurité. Impossible. Il n'avait rien sur lui, rien qui ne puisse lui servir à attaquer ou à se défendre.

Il poussa Aina-Kea et Euphialtes hors du chemin du second centipède, essayant de garder l'attention du monstre sur lui. Pas le temps de leur dire quoi que ce soit, il se rua vers la première créature, tentant de la dégager d'Olivia.

Par miracle, Vasily arriva à dégager la créature d'Olivia, la saisissant à bras le corps et la serrant aussi fort qu'il le pouvait, l'éloignant de l'exploratrice de force. Il pouvait sentir le centipède gigoter sous son étreinte, ses sifflements retentissaient dans ses oreilles, mais il ne lâcha pas prise ; jusqu'à ce qu'enfin il sente son corps gluant se comprimer sous le sien, éclatant sous la pression et laissant ses entrailles de déverser au sol.

Il lâcha prise, le dégoût lui entravant la gorge. Ce n'était pas le moment de flancher, il fallait garder la tête sur les épaules. Il se retourna vers Olivia, s'assurant qu'elle ne fut pas blessée.

– Tout va bien ?

Il essaya désespérément de ne pas se focaliser sur la matière visqueuse qui lui recouvrait les mains, les bras, et tout le corps, essaya de refouler la nausée qui menaçait de pointer le bout de son nez. Il n'arrivait pas à croire ce qui venait de se passer, tout ce qui venait de se passer. Il nageait en plein cauchemar, et il n'y avait aucune chance que quoi que ce soit qui se déroulait maintenant ne soit réel.

Concentré sur les monstres, il ne comprit pas ce qu'il vit quand il se retourna pour constater l'état d'Aina-Kea et d'Euphialtes – pourquoi était-iel blessé.e ? Que s'était-il passé pendant qu'il ne prêtait pas attention ? Ça n’aurait pas dû arriver... La panique de la jeune femme ne lui apporta aucun indice, mais il n'eut pas le temps de se poser plus de questions, parce qu'il aperçut la deuxième créature près de ses deux compagnons d'infortune.

L'instinct et l'adrénaline le poussèrent à se relever – quand s'était-il agenouillé ? – et à courir vers la seconde menace, déterminé à mettre le monstre hors d'état de nuire et à s'enfuir d'ici, peu importe comment.