D'un univers lointain, incertain; milliers d'étoiles troubles dans le ciel, témoins de leur détresse partagée - résidus d'un monde oublié; des souvenirs fragmentés, dissous dans l'abysse de l'amnésie indescriptible et si frustrante; ils évoluaient ici;
cherchant leur vérité.
Euphy' n'avait trouvé que désolation. Un monde d'absence, de froid - un vide qui prenait la place, grugeait la douceur et la bonté pour ne laisser que le désespoir qu'amenait l'ignorance. Euphy' se débattait dans l'océan de ses pensées, tentait vainement de ne pas se laisser emporter, de ne pas se noyer dans l'effroi qui dominait. Elle cherchait. Dans son acceptation de leur état, elle pourchassait une rédemption, la reconstruction d'une vie volée.

Toujours, chercher à apaiser les maux des autres, pour que leur séjour ici soit un peu plus doux, un peu plus supportable. Tenter, constamment, de laisser se dessiner sur les lèvres de Samuelle un sourire sincère, qu'il ne s'évanouisse jamais dans les airs, qu'elle ne le perde jamais. Euphy' mettait tout en oeuvre pour offrir un peu de douceur dans le quotidien de celle qui l'avait sauvé, sans jamais véritablement savoir si elle s'en sortait adéquatement.
Non. Peut-être qu'elle avait cru en son Dieu autrefois. Elle ne savait pas - elle croyait en les divinités, en Hadès, en Hécate, en eux. Mais pas en Dieu. Mais elle n'empêcherait jamais quiconque d'avoir ses propres croyances; demeurait pour toujours respectueuse des idées des autres.

Les étoiles sont magnifiques. Je suis d'accord, nous sommes chanceux de pouvoir les observer. Elles brillent et nous réconfortent à défaut de pouvoir nous guider. C'est le seul fragment de notre vie d'avant qu'il nous reste. Une vie en lambeaux, en fragments - une vie dont pas la moindre information ne substistait dans le cerveau. Euphy' avait serré très légèrement ses mains frêles autour de l'emballage entourant le cactus, alors qu'elle hochait doucement la tête. Elle tendit le cadeau à l'hôte de maison en souriant doucement. Ce n'est pas grand chose, mais je voulais te l'offrir. J'espère que ça te plaira. Elle s'était assise sur le balcon en respirant profondément. J'aimerais qu'on puisse trouver la raison de notre présence ici. Qu'on puisse trouver notre chemin vers la vie qu'on nous a volé... Mais en attendant, je pense qu'on ne peut qu'accepter le sort qui nous a été réservé et essayer de reconstruire une existence sur cette île. Histoire de survivre. Histoire de vivre. Elle garderait précieusement la main de Samuelle dans la sienne pour la guider dans l'acceptation de cette existence, pour l'aider à trouver son chemin et bâtir des souvenirs qui valent la peine d'être vécus.

Qui les attendait ?
Qui les espérait ?
Là-bas, dans l’horizon - au travers de la brume qui les enfermait, sans doute quelques coeurs si douloureux qui attendaient leur retour.
where is my home ? I don’t recognize the faces anymore. Les adieux prononcés sans même s’en rappeler peut-être; ou une disparition du jour au lendemain, sans prévenir. Qu’est-ce qu’ils en savaient ? Cette incertitude ancrée dans le coeur, ne restait que les espoirs vains de ne pas avoir été oubliés; et d’un jour : se rappeler. Cet espoir qui lui permettait aujourd’hui encore d’ouvrir les yeux, d’assumer sa journée, et de ne pas se laisser au désespoir qui habitait tant d’âmes qu’elle croisait quotidiennement; donc celle de sa sauveuse. Désespérément tenter d’ajouter quelques étincelles dans une vie qui ne lui appartenait pas; mais à laquelle elle se sentait inévitablement liée.  

Histoire de vivre,
Histoire de survivre;
Observer les étoiles changeantes en croyant qu’un jour elles pourraient révéler leurs secrets. Ne pas abandonner parce que l’abandon, c’était creuser sa propre tombe. Euphy’ n’était pas une optimiste née, ne tombait pas dans ce positivisme toxique. Elle essayait - simplement et purement. Tenter d’accepter le sort qui leur était réservé, parce qu’ils ne pouvaient rien faire de plus. Il fallait continuer d’avancer en se disant que peut-être un jour, la délivrance les attendrait au bout du chemin. Si tu le dis… Ses paroles n’avaient jamais eu vocation à posséder une beauté; simplement de laisser le coeur s’exprimer.

Se laisser aller sans aucun opposition dans une étreinte tant attendue. Dans les bras de Samuelle, la barman se sentait en sécurité. Rien ne pouvait se produire de mal, rien ne pouvait la déchirer, la déchaîner - tout était doux. Ici, en la présence de la garde, Euphy était parfaitement sereine. Elle désirait apporter de sa paix à celle qui partageait la pièce, humant cette odeur qu’elle se jurait de ne jamais oublier.

Je serais avec toi. Je serais avec toi tout au long, tu ne seras jamais seule. Tu n’essayeras pas seule, tu ne tomberas pas seule. Ma main sera toujours là pour attraper la tienne. comme Samuelle l’avait rattrapée quand elle s’était effondrée - quand la frayeur avait été si violente à son arrivée qu’elle n’avait su rien dire. Tout au long, Samuelle avait été là, avait accepté la présence de la jeune femme sans rechigner, lui avait appris les bases de cette société. Tout au long, Euphy’ avait pu trouver place auprès des cheveux rouges. Elle souhaitait donc, en retour, lui offrir la même place.

Serrer ses mains avec l’énergie du désespoir - comme si celles-ci pouvaient s’échapper à tout moment, comme si elle pouvait la perdre. Mais au lieu de répondre, elle s’était relevée, elle avait entraîné Samuelle avec elle, jusque sur ce balcon - pour qu’elles se retrouvent sous la lumière des étoiles - et celle de la maison qui les éclairait de l’intérieur. Elles sont mortes, les étoiles. Mais elle brille toujours. Normalement, elles devraient guider, mais on sait qu’ici, ce n’est pas possible. Pourtant, on les voit. Elles nous accompagnent. C’est ce rôle que tu as joué depuis mon arrivée ici, Samuelle. Une pause. Une respiration. Poser son regard sombre et sérieux dans celui de l’hôte, sa main sur sa joue pour l’inciter à la regarder.

Tu as été mon étoile, mais toi, tu m’as guidé. Et même quand je ne te voyais pas, je savais que tu étais là, quelque part. Et ta force, elle m’a permis de me relever quand le monde semblait s’effondrer. Comme les étoiles qui sont là même quand le soleil traîne dans le ciel, tu étais dans mes pensées même quand tu n’étais pas dans mon champ de vision. Alors, peu importe où on ira, peu importe ce qui se passera, je refuse un seul instant de devoir le passer sans savoir qu’on pourra se revoir. Je refuse que tu m’échappes, que tu te glisses loin de moi - je veux te préserver dans mon existence, comme les étoiles qui continuent nuit après nuit de nous éclairer. Euphy’ s’était assise à même le sol - un peu froid - en regardant ce ciel si beau. Bon ! Tu as du café ici ?

Peu importe la vie qu'elle allait reconstruire,
Une place spéciale serait réservée à Samuelle.

Peu importe ce qu’il se passera, peu importe le jour, le temps, l’année – peu importe quand, comment, aujourd’hui, elles se seront vues. Elles se seront comprises. Elles auront vécu. Elles se seront rencontrées. Euphialtes ne pourrait jamais regretter toute cette situation parce qu’elle avait pu poser son regard sur Samuelle, elle avait pu l’entendre, lui parler – elles avaient pu échanger. Le regard de la barmaid se posa sur la jeune femme qui lui faisait face – dans la simplicité et la spontanéité de Samuelle, elle y trouvait un réconfort. Tu ne seras pas seule. Tu trouveras quelqu’un. Mais ce quelqu’un ne sera pas elle. Euphialtes ne pouvait pas dire pourquoi; elle pouvait simplement le ressentir; le destin ne leur réservait pas cette finalité. Et qu’est-ce qu’elle aurait aimé. Elle n’avait jamais pris le temps de comprendre ce qu’elle ressentait pour la garde, mais ça ne se cantonnait pas à l’amitié simple.
Peut-être qu’elle ne voulait pas savoir, peut-être qu’elle voulait préserver le mystère pour ne pas s’étouffer dans les émotions; pour ne pas les enfermer quand leurs regards viendraient à se croiser. Peut-être que c’était tout simplement plus simple, plus évident, de ne pas rechercher une réponse. Pour ne pas se perdre dans ce qui ne trouverait pas son écho – Euphialtes le savait, elle le sentait. Samuelle ne la voyait pas ainsi, ne pouvait la voir ainsi.

Ce n’était pas cette relation qui s’était développée entre elles, les portes ne s’étaient pas ouvertes, elles étaient obstinément fermées. Samuelle était sa protectrice, sa gardienne, son cœur s’en était entiché; mais quand les yeux de la garde se posaient sur elle; elle ne voyait qu’une tendresse particulière, mais pas… Pas ce qu’elle aimerait. Pas ce qu’elle espérait.
Mais ce n’était pas grave. Et quand la dernière feuille de l’automne tombera, elle pourra la regarder dans les yeux et lui dire l’avoir aimé; et quand la dernière feuille de l’automne fanera, leurs chemins pourront se poursuivre chacune de leur côté. Mais toujours dans une certaine proximité. Toujours à portée, jamais trop loin, pour ne pas se séparer.
Tout était préférable, sauf l’avoir loin – Euphialtes ne désirait que le bonheur de cet ange qui lui faisait face; ne désirait que voir la lumière dans son regard, des petites étoiles brillantes, illuminées. Peu importe avec qui; peu importe comment, elle lui offrirait ce bonheur sur un plateau d’argent.

Continue. Continue de tout donner. Continue de tenter de trouver, avec les autres, une sortie. J’attendrais sagement dans ce bar la fin de ton quart pour t’offrir un peu de réconfort; et je continuerais d’attendre tes visites, ta présence. Elle attendrait éternellement; dans d’autres vies, d’autres univers, peut-être que ce sera le temps. Peut-être que dans une autre réalité, se croiseraient leurs finalités; leurs désirs enfouis. Pas maintenant. Pas au New Heaven. Pas dans cette trame; mais peut-être qu’ailleurs, une autre époque leur sera réservée. Euphialtes veut bien y croire. Dans la sécurité qui l’entoure lorsqu’elle est si près d’elle, elle ne peut tout simplement capituler sur l’idée qu’un jour, le romantisme sera entre elles, les liera. Pas ici, pas maintenant; pas sur cette île qui les condamnait. Elles étaient au mauvais endroit, au moment mauvais – mais peut-être… Peut-être. Qui sait ? Personne. Un café noir me convient parfaitement. Elle ne savait pas que Samuelle pouvait rougir, mais elle était adorable ainsi. La barmaid ne fit simplement pas de commentaire, préférait ne pas enfoncer le clou tout simplement. Je ne pense pas y aller. Enfin, je vais être au bar comme toujours ! Alors tu pourras passer, je me ferais un plaisir de te servir. Et tu vas participer à la fête toi ? Tu comptes te déguiser ? Tu serais magnifique, dans un déguisement alors si tu le fais, passe absolument me voir! Il n’y avait absolument aucun appareil électronique ici – Euphialtes lui aurait dit de lui prendre une photo, mais sans l’appareil pour, ce serait compliqué.
À qui le cœur de Sam était-il destiné ?
Elle aimerait qu’Aphrodite soit en mesure de lui révéler. Dans quels bras, un jour, elle serait ? Et qui serait la cause de la douleur qui résonnera sans aucun doute alors en elle, mais qu’elle effacera au profit du bonheur qui rayonnera dans les yeux de Samuelle ? Rien ne comptera jamais plus que son bien-être.  

Samuelle… Tu peux me promettre quelque chose ?
Une pause.
Une respiration.
La journée où tu aimeras quelqu’un, suffisamment fort pour ne pas vouloir le voir partir, pour passer ta vie avec… Dis-lui. N’attends pas. Dis-lui, dis-lui tes sentiments, assure-lui que tu seras toujours là. On ne sait jamais ce qui peut se passer, il n’y a pas de temps à attendre – et puis, qui sait ? Ce sera peut-être réciproque.

Parce qu’elle;
Elle ne le dira jamais.